71. Du moule sort la vie
La création de la vie s’avérait une affaire complexe. Après avoir lu le chapitre « Comment faire naître les animaux », ils commencèrent à placer les œufs fécondés d’animaux de l’ancienne Terre dans les couveuses automatiques, comme le proposait le livre d’Yves.
Au bout de quelques semaines, ils obtinrent les premières formes de vie d’origine terrestre prêtes à être implantées sur cette planète.
En premier ils déposèrent une fourmi, fraîchement éclose d’un petit œuf congelé et décongelé.
L’insecte, perdu sur la nouvelle planète, ne voulut pas abandonner le doigt d’Adrien.
— Allez, vas-y, descends !
Finalement propulsée par le souffle humain, la fourmi tomba plus loin et commença à explorer le sol, incapable d’imaginer la taille du nouveau monde où elle venait d’atterrir.
En parallèle, Élisabeth avait fait naître, pour le symbole, un papillon qu’elle aida à sortir de sa chrysalide pour le poser sur sa main.
C’était un morpho, un de ces papillons dont les ailes bleu fluorescent réfléchissent la lumière sur plusieurs strates, leur donnant un aspect de relief irréel. Elle contempla « son » insecte comme une œuvre d’art, un tableau qu’elle venait de créer.
Elle souffla pour sécher les ailes mouillées.
L’insecte ne voulant pas décoller, elle souffla plus fort jusqu’à ce qu’il soit projeté dans le ciel. Dérouté, mais craignant la chute, le papillon commença à battre des ailes. Enfin il se mit à brasser l’air de ses longues voiles bleutées. Après avoir zigzagué il trouva la maîtrise de sa trajectoire et s’éleva vers le soleil comme s’il savait que cela allait l’aider à sécher les dernières traces d’humidité de ses fines protubérances.
En troisième position, après les fourmis et les papillons, vinrent les rats, livrés eux aussi à la conquête de ce nouveau territoire.
— Il faudra penser à ajouter à ces trois-là des partenaires sexuels, sinon ils n’iront pas loin, signala Adrien.
Ensuite il y eut deux poussins, mâle et femelle, puis deux souris, puis deux lapins.
Au bout de quelques mois ils eurent deux chèvres, deux moutons, deux vaches. Puis, suivant les conseils du livre, ils introduisirent les insectes de l’ancienne Terre… Termites, coléoptères, mais aussi moustiques, mouches, etc.
Ceux-ci se développèrent encore plus vite, et se répandirent sur toute la surface de la nouvelle planète. Puis ils plantèrent un jardinet au bas de leur maison dans les branches. Ils purent ainsi obtenir une récolte de carottes pour nourrir les lapins, et même du blé pour constituer le pain, et de la vigne pour produire du vin.
Durant ses expéditions de chasse, Adrien trouvait chaque jour davantage de cadavres de dinosaures couverts de mouches. Comme si une forme de vie en remplaçait peu à peu une autre.
Les insectes de l’ancienne Terre les dévoraient. Seuls les plus petits dinosaures, les lézards, semblaient avoir trouvé dans leur organisme le moyen de résister à la grippe terrienne.
Après les animaux servant de bétail et les végétaux servant de nourriture, selon les conseils du livre d’Yves-1, les deux Terriens firent naître des animaux moins sympathiques mais qu’ils savaient nécessaires au cycle écologique : renards, loups, ours, lions, guépards, chats, chiens, et même serpents, araignées, taupes, lombrics. Ces derniers destinés à aérer le sol. Dans un troisième temps ils s’attaquèrent aux mammifères volumineux : éléphants, hippopotames, girafes, mammouths. Puis ils complétèrent leur zoo personnel avec des zèbres, des gnous, des écureuils, des paons, des scarabées, des singes. Et bien d’autres encore.
Dans leur maison dans les arbres Adrien et Élith s’étaient habitués peu à peu l’un à l’autre et vivaient une existence plutôt paisible, en pleine nature, sur une planète étrangère, certes, mais confortable.
Ils dormaient dans le même lit… jusqu’au soir où, deux ans après leur arrivée, une dispute éclata entre Élisabeth et Adrien.
— Il faut qu’on s’explique ! J’en ai assez ! s’offusqua-t-elle.
— Quoi encore !
— Lorsque nous faisons l’amour c’est toujours moi qui suis en dessous !
— Mais enfin chérie, tu veux quoi ?
— Être dessus. Quand tu es sur moi tu m’étouffes. Tu m’appuies sur la poitrine et ça m’oppresse.
— Si tu es sur moi je ne pourrai pas y arriver, reconnut Adrien.
— Eh bien, à partir de maintenant je te préviens, c’est moi qui suis dessus sinon on arrête.
— Je ne comprends pas, tu veux que nous arrêtions de faire l’amour si je ne me soumets pas à tes désirs ?
— Exactement. Tu m’as bien comprise.
— Je m’en fiche de ce que tu veux ! Nous continuerons comme nous avons toujours fait : moi dessus et toi dessous. Il n’y a que comme ça que je peux avoir du plaisir.
— Et mon plaisir à moi, tu t’en fiches ?
— Oh ! ne recommence pas.
— Je t’ai dit ce que j’avais à dire, on change ou on arrête.
— Plutôt crever ! (Il la fixa avec un sourire cruel.) Je sais pourquoi tu me fais ces reproches, déclara-t-il. Ce n’est pas parce que tu es dessous. C’est parce que nous ne parvenons pas à avoir d’enfant. Nous donnons la vie animale mais toi tu es incapable de donner la vie humaine !
Elle lui lâcha un regard terrible.
— Comment oses-tu !
— Tu es stérile, ma pauvre Élith ! Ça fait deux ans que nous faisons l’amour et que nous créons toutes sortes d’insectes, d’oiseaux, de mammifères, mais toi tu ne peux même pas me donner un fils ou une fille. Tu dois avoir une… malformation.
— Espèce de…
Quelques minutes plus tard, ils se jetaient des injures au visage et se battaient. Elle le gifla. Il la gifla.
Elle le griffa au visage. Il la jeta par terre.
Elle se releva, la lèvre en sang, et annonça qu’elle préférait partir.
— Tu plaisantes ? Tu vas aller où ? Je te rappelle que nous sommes les seuls humains sur cette planète !
— Plutôt vivre seule qu’avec un type d’aussi mauvaise foi que toi ! Le jour où je t’ai choisi j’aurais mieux fait de prendre n’importe lequel des quatre autres. Gabi, Nico, Élé, ou Joss, c’étaient des types formidables. Ils auraient été mieux que toi, tiens ! Surtout qu’il n’est pas dit que ce soit moi qui suis stérile ! Ça m’a plutôt l’air d’être toi et ton sperme fainéant.
Elle partit d’un coup.
Il resta atterré.
Puis elle revint quelques minutes plus tard chercher ses affaires. Ils n’échangèrent pas un mot. Adrien se mit à boire du jus de fruits fermenté en maugréant.
Élisabeth s’installa beaucoup plus loin, en amont du fleuve.